Traitement suppresseur de TSH dans le cancer différencié de la thyroïde. Un dogme en cours de révision | Endocrinología y Nutrición (Edition anglaise)
Introduction
Le traitement du carcinome thyroïdien différencié (CTD) repose sur une triade composée de la thyroïdectomie totale, de l’ablation des restes thyroïdiens par 131I et du traitement par de fortes doses de thyroxine. Cette dernière stratégie est ce que l’on appelle habituellement le « traitement suppressif » (TS), et a été proposée comme un traitement utile il y a plus de 75 ans1 lorsqu’il a été démontré que l’administration d’extraits thyroïdiens améliorait l’évolution des métastases du DTC. La TSH est le principal facteur de croissance et de différenciation des cellules thyroïdiennes. L’effet trophique est maintenu dans le CPT, et l’inhibition par de fortes doses de thyroxine permet donc de prévenir l’extension des cellules cancéreuses résiduelles non tuées après la chirurgie et l’ablation.
Cependant, ce postulat a été récemment remis en question après que le rôle prédominant de la TSH en tant qu’élément de prolifération cellulaire, notamment dans les cellules néoplasiques, ait été remis en cause2,3. D’autre part, de nouvelles questions sont apparues concernant le traitement optimal du CPT, suite aux progrès réalisés au cours de la dernière décennie dans notre compréhension des bases moléculaires régissant la tumorigenèse. L’une de ces questions concerne le ST et la possibilité que ce traitement, outre ses effets secondaires connus, puisse induire une prolifération du CPT lui-même ou de secondes tumeurs. L’objectif de cette étude était d’examiner l’état actuel de la ST sur la base de ces résultats.
Une base scientifique faible
Depuis sa mise en œuvre progressive, la ST a été largement acceptée et fait partie de tous les protocoles de traitement du CPT. Les preuves scientifiques de son efficacité sont cependant limitées, et peu d’études soutiennent son utilisation clinique.
En 2002, McGriff et al.4 ont publié la première et seule méta-analyse à ce jour sur le sujet. Ces auteurs n’ont analysé que les 10 articles qu’ils considéraient comme adéquats pour l’étude, qui n’étaient par ailleurs pas exempts de limitations méthodologiques importantes. Ainsi, trois d’entre eux provenaient du même groupe de recherche, de sorte que les patients pouvaient être inclus plusieurs fois.5-7 Il en a été de même pour deux autres études.8,9 D’autre part, l’article de Young et al.9 n’a analysé que les carcinomes folliculaires (FTC), et celui de Sanders et Rossi7 n’a inclus que les carcinomes cachés, c’est-à-dire ceux diagnostiqués au stade métastatique. En outre, les séries rapportées comprenaient des cas de CPT assez anciens. Par exemple, l’étude de Wanebo et al.10 s’est terminée en 1976, l’étude de Cady et al.5 comprenait des sujets traités pour un CPT entre 1931 et 1970, l’étude de Sanders et Rossi7 a analysé un groupe de patients suivis entre 1940 et 1990, et la série très référencée de Mazzaferri et Jhiang8 a rapporté des cas de 1950 à 1993. Il est évident que les procédures diagnostiques et thérapeutiques effectuées sur ces patients ne peuvent être extrapolées à l’époque actuelle. Enfin, le nombre de cas dans les différentes séries était également faible. Sanders et Rossi7 ont rapporté 92 patients, et l’étude de Pujol et al.,11 l’une des plus couramment citées pour démontrer l’efficacité du ST, était basée sur 121 sujets. Cependant, sur la base des caractéristiques de toutes ces études, la méta-analyse de McGriff et al.4 a conclu que le traitement par de fortes doses de thyroxine était efficace, mais qu’il était peu significatif en ce qui concerne l’amélioration de la survie des patients atteints de DTC.
Certaines des études incluses dans la méta-analyse ont trouvé que la ST était efficace dans certaines circonstances. Cooper et al.12 ont suggéré que l’inhibition de la TSH ne devrait être utilisée que chez les patients classés à haut risque. La sélection des patients et la reconnaissance du fait que l’utilisation généralisée de la ST devrait être reconsidérée ont gagné en force suite à l’examen de McGriff et al. Ainsi, une étude réalisée en 2006 par Jonklaas et al.13 a stratifié l’efficacité de cette approche thérapeutique. Les auteurs ont constaté qu’au stade I, la survie n’était pas liée à l’ampleur de la suppression de la TSH. Au stade II, une relation directe a été observée pour les niveaux de TSH supérieurs à 3mU/L. Aux stades III et IV, une corrélation claire a été trouvée entre la TSH et la survie. En outre, Hovens et al.14 ont plus récemment défini une valeur de TSH d’environ 2mU/L comme le point de coupure permettant de discriminer au mieux le risque de rechute de la maladie. Tous ces éléments ont conduit à proposer un algorithme de ST plus rationnel et adapté aux caractéristiques de chaque patient.15 Cette nouvelle approche a commencé à être vue dans certaines directives et recommandations pratiques.16,17
La seule étude prospective randomisée menée à ce jour qui évalue l’efficacité du ST a été récemment publiée. Sugitani et Fujimoto18 ont randomisé plus de 400 patients subissant une intervention chirurgicale pour un CPT en deux groupes. Le premier groupe a été traité à la thyroxine pour obtenir une suppression de la TSH, tandis que les patients du second groupe ont été traités pour maintenir la TSH dans la fourchette normale. Après un suivi moyen de 7 ans, les auteurs n’ont trouvé aucune différence significative entre les deux groupes en ce qui concerne la durée sans maladie, la rechute, le délai de rechute, les métastases à distance, la mortalité globale ou la mortalité spécifique.
Une stratégie non dénuée de risques
A la faiblesse des preuves scientifiques concernant l’efficacité réelle de la ST, il faut ajouter qu’elle n’est pas dénuée d’effets secondaires. Plusieurs rapports analysent cet aspect, dont l’excellente revue de Reverter et Colomé19 récemment publiée dans cette revue. Les effets nocifs les plus importants de la ST sont ceux dérivés de l’hyperthyroïdie subclinique induite chroniquement chez les patients, qui conduit souvent à une véritable hyperthyroïdie clinique symptomatique.
Hormones thyroïdiennes et cancer
L’existence d’une relation directe entre les hormones thyroïdiennes (TH) et le cancer a été suggérée il y a plus d’un siècle20. Différentes études ont mis en évidence une association significative entre les taux d’hormones et la survenue de divers néoplasmes, notamment les tumeurs du rein, du pancréas, de l’ovaire et du sein.21 En 1984, Brinton et al.22 ont rapporté que le risque de cancer du sein était multiplié par plus de 10 lorsqu’un traitement substitutif par THs était instauré chez des femmes hypothyroïdiennes. Une étude épidémiologique à grande échelle menée en Norvège sur plus de 29 000 personnes suivies pendant neuf ans a montré que des taux de TSH inférieurs à 0,5 mU/L étaient associés à une augmentation de la survenue de cancers (hazard ratio, 1,34 ; intervalle de confiance, 1,06-1,69).23 Les tumeurs malignes du poumon et de la prostate étaient les plus fréquentes. En revanche, les taux correspondant à une hypothyroïdie n’augmentaient pas le risque d’apparition de tumeurs.23 À cet égard, des études récentes suggèrent que l’hypothyroïdie peut améliorer l’efficacité des traitements anticancéreux.21 Plus précisément, une augmentation du temps sans progression a été signalée chez les patients atteints de cancer du rein qui présentent une hypothyroïdie après l’administration de sunitinib et de sorafenib.24,25 Cela a conduit à l’hypothèse que les TH jouent un certain rôle dans la prolifération tumorale et l’angiogenèse. Cependant, la base physiopathologique de ces effets pourrait ne pas être établie avant des années.
Un nouveau paradigme dans l’action des hormones thyroïdiennes
Les intégrines sont un groupe d’hétérodimères membranaires intégraux capables d’interagir avec diverses protéines extracellulaires, des facteurs de croissance et certaines hormones pour générer des réponses intracellulaires. Plus de 20 intégrines différentes, résultant de la combinaison de divers sous-types des deux sous-unités (alpha et bêta) qui les forment, ont été rapportées à ce jour. En 2005, Bergh et al.26 ont signalé que l’intégrine connue sous le nom de αVβ3 possède un site spécifique qui agit comme un récepteur de HT. Cela a modifié le concept traditionnel selon lequel les HT, et spécifiquement la triiodothyronine (T3), n’agissaient que par le biais des récepteurs nucléaires (TR). D’autre part, diverses études avaient déjà démontré que certaines actions des HT n’étaient pas médiées par les TR. Ainsi, les effets dus à l’interaction avec les récepteurs traditionnels ont été appelés « actions génomiques », et tous les autres effets, « actions non génomiques « 27. Des études ultérieures à la découverte de Bergh et al.26 ont confirmé l’hypothèse selon laquelle les actions non génomiques étaient dues à l’interaction des TH avec leur récepteur de surface, l’intégrine αVβ3.28 Il convient de noter que cette intégrine possède un locus spécifique pour la T3 et un autre locus différent pour la tétraiodothyronine (T4).
L’intégrine αVβ3 est exprimée dans les cellules endothéliales et musculaires lisses, mais présente une expression particulièrement forte dans la membrane cellulaire d’un grand nombre de tumeurs, notamment celles du sein, de la prostate et du foie. L’étude de Bergh et al26 a suggéré que l’activation de l’intégrine par les TH était responsable de l’action promotrice de l’angiogenèse des TH, et que le complexe T4-αVβ3 agissait en activant la voie de signalisation dépendant de la protéine kinase activée par des agents mitogènes (ou voie MAPK). D’autres études ont soutenu cette hypothèse, et on pense actuellement que la relation entre le cancer et les TH, soupçonnée pour la première fois il y a plus d’un siècle, est due à l’activation du récepteur αVβ329,30. En outre, il a été récemment établi que la T4 joue un rôle crucial dans ce phénomène.
Impact sur le cancer de la thyroïde
Comme nous l’avons vu précédemment, les TH peuvent, d’une part, jouer un rôle stimulant dans la progression du cancer, mais il existe également des preuves suggérant que le mécanisme physiopathologique est l’activation de la voie de signalisation MAPK, une voie clé dans la différenciation et la prolifération cellulaire qui s’est avérée déterminante dans le développement du carcinome papillaire de la thyroïde (CPT).31 Toutes ces données ont conduit à envisager l’impact du ST dans le schéma thérapeutique du CPT et ont suggéré un nouvel effet indésirable potentiel et inconnu du ST : la possibilité que le ST soit lié à l’évolution du CPT ou à l’apparition d’une seconde tumeur. Peu de données expérimentales sont disponibles à cet égard.
Hoffmann et al.32 ont montré en 2005 que le tissu thyroïdien normal exprime αVβ3 et que diverses lignées cellulaires de CPT présentent des profils d’expression d’intégrine variables. En outre, Illario et al.33 ont montré que le complexe T4-αVβ3 active également la voie de signalisation MAPK dans les cellules thyroïdiennes. Plus récemment, Yalcin et al.34 ont signalé que, dans un modèle expérimental de carcinome folliculaire, le blocage de T4-αVβ3 entraînait une diminution de la capacité angiogénique et de la masse tumorale. Dans un article intéressant, Lin et al.35 ont découvert que l’activation de la T4-αVβ3, à des niveaux physiologiques de T4, provoquait un stimulus prolifératif et une diminution de la capacité apoptotique dans des cultures de cellules PTC et FTC. Dans leurs conclusions, les auteurs ont postulé que chez certains patients, la ST pouvait avoir une action stimulante sur la croissance tumorale résiduelle, même en l’absence de TSH.
Traitement suppressif de la TSH et secondes tumeurs
Les patients atteints de CPT ont un risque plus élevé que la population générale de développer une seconde tumeur primaire (SPT). Les études rapportées au cours des dernières décennies, dont trois grandes études épidémiologiques36-38 et une méta-analyse39, confirment un risque de SPT supérieur de 5 à 31 % à celui attendu. L’une des raisons invoquées pour expliquer cette augmentation est l’effet cancérigène du traitement par ablation à l’131I.40 De Vathaire et al.41 ont signalé que l’augmentation de l’occurrence du cancer du côlon était liée à la dose totale d’131I administrée. Plus récemment, Fallahi et al.42 ont estimé qu’une dose totale cumulée supérieure à 40GBq (1,08 Ci) était associée à une augmentation significative des SPT. Ronckers et al.37 ont mené une étude basée sur la cohorte de patients du programme américain Surveillance, Epidemiology, and End-results (SEER). Les auteurs ont analysé l’incidence d’un sous-groupe de tumeurs dans les tissus présentant une plus grande exposition au radio-isotope. Il s’agissait de tumeurs des glandes salivaires, de l’estomac, de l’intestin grêle et de la vessie, ainsi que de leucémies. Le risque de présenter certaines de ces tumeurs était deux fois plus élevé chez les patients atteints de TCD qui avaient reçu de l’131I par rapport à ceux qui n’avaient pas reçu de traitement par ablation.
Par contre, d’autres auteurs n’ont trouvé aucune association entre la TSP et le traitement par 131I. Bhattacharyya et Chien43 ont comparé deux groupes de patients atteints de CPT selon qu’ils avaient reçu ou non un traitement isotopique et ont constaté que la PTS se produisait chez 6,7 % et 4,8 % des patients non traités et traités respectivement. De même, Berthe et al.44 et Verkooijen et al.45 n’ont trouvé aucune influence du type de traitement utilisé. Ce fait, associé à la preuve que la relation inverse est également significative37,38,46 (patients atteints de néoplasmes extrathyroïdiens qui développent ensuite un CPT), a conduit à envisager d’autres hypothèses. Ainsi, il a été suggéré qu’un patient pouvait présenter des facteurs de risque communs pour la survenue de différentes tumeurs, comme certaines conditions environnementales ou une prédisposition génétique.45,47
Aucune étude publiée n’a évalué le rôle potentiel du ST dans le risque de SPT. Bien que cela soit totalement spéculatif, il est intéressant de noter que dans une majorité de séries, les SPT les plus fréquents sont les tumeurs du sein, du rein et de la prostate, qui sont celles qui sont le plus souvent impliquées dans l’association entre THs et cancer.
TSH an differentiated thyroid carcinoma
Le rôle des THs et de la TSH dans le DTC semble être encore plus complexe. Bien que, comme nous l’avons déjà noté, l’étude épidémiologique norvégienne de Hellevik et al.23 ait établi un lien entre des taux de TSH inférieurs à 0,5mU/L et un risque élevé de diverses tumeurs, certaines données indiquent que c’est le contraire qui se produit dans le CPT, c’est-à-dire qu’une relation directe semble exister entre les valeurs de TSH et le risque de cancer de la thyroïde. Boelaert et al.48 ont signalé en 2006 que les taux sériques de TSH étaient un facteur prédictif indépendant de malignité. D’autres études ont ensuite montré que les taux de TSH pré-chirurgicaux sont un marqueur de risque de CPT dans la maladie nodulaire de la thyroïde (MNT).49,50 Jin et al.51 ont constaté que chez les patients atteints de MNT, des taux de TSH inférieurs à 0,9 mU/L étaient associés à un risque de CPT de 10 %, mais que ce risque augmentait à 65 % avec des taux de TSH supérieurs à 5,5mU/L. De plus, l’élévation de la TSH est également liée au CPT qui est diagnostiqué à des stades plus avancés ou qui est plus agressif.49,52 Notre groupe a récemment signalé un risque de malignité de 12 % chez les patients atteints de DNT et d’hyperthyroïdie subclinique, qui passait à 20,5 % lorsque la TSH était dans les limites de la normale et à 42 % chez les patients atteints d’hypothyroïdie subclinique.53 Les taux de TSH étaient à leur tour corrélés à la taille de la tumeur, de sorte que les taux moyens étaient de 1,36±1,62mU/L dans les TND sans CPT, de 1,71±1,52mU/L chez les patients dont le diagnostic final était un CPT de moins de 1cm (microcarcinome), et de 2,42±2,5mU/L dans les cas de CPT plus importants.
Conclusions
La TSH fait généralement partie du schéma thérapeutique du CPT. La possibilité que l’hyperthyroïdie subclinique associée au ST puisse provoquer des effets secondaires, notamment au niveau cardiovasculaire et osseux, a été envisagée depuis un certain temps. Plus récemment, il a été établi que les effets prolifératifs et favorisant l’angiogenèse dérivés des TH sont dus à l’interaction de l’hormone avec l’intégrine αVβ3. L’influence de cet effet des ST à la fois sur l’évolution de la DCT et sur la survenue de secondes tumeurs est actuellement inconnue. D’autre part, de faibles niveaux de TSH sont corrélés à un risque accru de tumeurs extrathyroïdiennes, mais semblent diminuer le risque de DTC dans les TND.
La DTC a traditionnellement été considérée comme un groupe de tumeurs TSH-dépendantes, et l’inhibition de la TSH par les ST était donc considérée comme une mesure efficace. Cependant, ni la possibilité que le DTC soit TH-dépendant, ni l’effet direct des TH sur l’évolution de la tumeur n’ont jamais été pris en considération. À l’avenir, nous devrons identifier les tumeurs qui sont plus proches de la dépendance à la TSH et celles qui ont une dépendance prédominante aux TH. Cette approche pourrait éventuellement nous permettre de comprendre les cas qui ne répondent pas au traitement standard, ou de comprendre pourquoi le ST n’a pas montré une efficacité universelle. L’objectif devrait être de déterminer le rôle spécifique de la TSH et des TH dans l’apparition et le développement du CPT, et d’optimiser individuellement le traitement le plus adéquat tout en minimisant les éventuels effets indésirables.
Conflits d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts.