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Approches computationnelles de la fonction sérotonine
Les neurosciences computationnelles offrent un cadre qui permet de disséquer le rôle de neurotransmetteurs spécifiques à partir d’un système complexe, interconnecté et dynamique tel que le cerveau. L’exemple paradigmatique d’une approche computationnelle pour comprendre la fonction d’un neurotransmetteur central est la découverte que l’activité d’un sous-ensemble de neurones dopaminergiques, se projetant à partir du tegmentum ventral dans tout le cerveau, augmente fortement lorsqu’une récompense inattendue se produit (14). Les calculs suggèrent que ces neurones dopaminergiques contiennent des informations sur « l’erreur de prédiction de la récompense », qui est calculée simplement comme la différence entre la récompense que l’animal « s’attendait » à recevoir et celle qu’il a effectivement reçue (15). Cela fournit un compte rendu quantitatif convaincant du rôle des neurones dopaminergiques dans la mise à jour des croyances sur l’environnement.
Le rôle de la sérotonine dans la cognition n’a pas, à ce jour, été caractérisé avec autant de succès que le signal d’erreur de prédiction de récompense dopaminergique. Cela peut être dû en partie aux défis techniques de l’identification électrophysiologique des neurones sérotoninergiques ou aux faibles concentrations de sérotonine par rapport à la dopamine dans le système nerveux central, problèmes qui pourraient être plus facilement contournés à l’avenir par les progrès de l’optogénétique (16). Quelle qu’en soit la cause, aucun compte rendu computationnel existant de la fonction sérotonergique ne bénéficie du soutien empirique dont jouit le modèle dopaminergique.
En conséquence, avant d’examiner les modèles spécifiques proposés de la fonction sérotonergique, il est utile de considérer le large type d’informations que le système sérotonergique pourrait transmettre, compte tenu de son anatomie et de sa neurochimie brutes. Les neurones sérotoninergiques, à l’instar d’autres neurotransmetteurs monoaminergiques centraux tels que la noradrénaline et la dopamine, se projettent à partir de petits noyaux centraux dans une grande partie du reste du système nerveux central. Cette disposition anatomique est idéale pour diffuser des messages relativement simples qui présentent un intérêt général pour de nombreuses régions différentes du cerveau, comme le signal d’erreur de prédiction de récompense transporté par la dopamine. Cela ne veut pas dire que le système sérotoninergique n’a pour limite qu’un seul type de signal ; il peut y avoir une certaine spécificité anatomique dans l’information transmise, et la gamme complexe de récepteurs sérotoninergiques permet de multiplexer les signaux même dans les neurones se projetant vers la même région (17).
Les modèles actuels de la fonction sérotoninergique ont tenté de rendre compte de trois observations générales sur les effets de l’amélioration de la fonction sérotoninergique chez les animaux et les humains : premièrement, qu’elle influence la réponse aux stimuli aversifs ; deuxièmement, qu’elle augmente l’inhibition comportementale ; et troisièmement, qu’elle améliore les symptômes de la dépression (18).
Un compte computationnel initial de la transmission sérotoninergique a suggéré qu’elle agissait en opposition à la dopamine, transmettant une « erreur de prédiction de punition ». C’est-à-dire que l’activité sérotonergique phasique signale lorsque les événements sont pires que prévu (19). Ce modèle est capable de rendre compte de l’effet de la modification sérotoninergique sur les réponses comportementales au stress et à la menace, car il suggère que la sérotonine diffuse des informations cruciales pour l’apprentissage des résultats aversifs. Une élaboration du modèle suggère qu’en plus du signal phasique d’erreur de prédiction de punition, l’activité sérotoninergique tonique représente la moyenne, ou la fréquence attendue des punitions (20). Cela relie l’effet de la sérotonine sur le traitement de l’aversion à l’inhibition comportementale, car plus on s’attend à ce que les punitions soient fréquentes lorsque des actions sont entreprises, plus une approche prudente de l’action devient avantageuse.
Une deuxième variante de ce modèle présente le rôle de la sérotonine comme contrôlant le « delay-discounting », qui décrit l’observation qu’une récompense immédiate (disons, recevoir une barre de chocolat maintenant) est généralement valorisée dans une plus grande mesure qu’une récompense différée (recevoir une barre de chocolat dans une semaine). Sur le plan informatique, cet effet peut être décrit en représentant numériquement la valeur d’une récompense (une barre de chocolat pourrait avoir une valeur de récompense immédiate de 100), puis en réduisant systématiquement cette valeur en fonction de la durée du délai avant la réception de la récompense (la valeur de la même barre de chocolat à consommer dans une semaine pourrait être de 50) (21). Il a été suggéré que la sérotonine contrôlait la « pente » de ce processus d’actualisation – plus précisément, des niveaux élevés de sérotonine rendent le processus plus plat et réduisent ainsi la différence entre les récompenses immédiates et lointaines (22,23). L’aplatissement du taux d’actualisation de cette manière rend plus probable la volonté de l’animal d’attendre une récompense différée, et explique pourquoi l’amélioration de la fonction sérotonergique réduit le comportement impulsif.
Un troisième modèle computationnel, développé par Dayan et Huys (18), peut être plus pertinent pour le rôle de la sérotonine dans la dépression et son traitement. Ici, la sérotonine est perçue comme influençant la façon dont une pensée mène à une autre, spécifiquement en inhibant les chaînes de pensées prédites pour mener à des états affectifs négatifs (« n’allons pas là »). De ce point de vue, le rôle de la sérotonine est de veiller à ce que les pensées ayant des conséquences émotionnelles potentiellement négatives soient relativement peu explorées ; par conséquent, la facilitation de la sérotonine produit un biais en faveur des évaluations optimistes, car les pensées gratifiantes sont « visitées » plus fréquemment que les pensées punitives. Ceci est cohérent avec les actions des ISRS sur le traitement des émotions décrites précédemment (11). À l’inverse, on s’attendrait à ce qu’une déplétion en tryptophane mine cet effet de la sérotonine, conduisant à un accès plus important aux schémas de pensée négatifs. Chez un individu où des schémas particulièrement sombres de pensées négatives ont été établis au cours d’épisodes dépressifs antérieurs, la déplétion en tryptophane pourrait avoir pour conséquence que de telles expériences soient facilement réaccessibles, conduisant au retour de symptômes dépressifs cliniquement significatifs.