Minorité raciale

Juil 11, 2021
admin

2.1 Justifications de l’action positive

Les programmes d’action positive pour les minorités raciales aux États-Unis cherchent généralement à remédier au préjudice causé à des individus spécifiques par le « biais cognitif », c’est-à-dire le préjudice causé par un acteur qui est conscient de la race, du sexe, de l’origine nationale ou d’un autre statut légalement protégé de la personne et qui est motivé (consciemment ou inconsciemment) par cette conscience. Une grande partie du scepticisme actuel aux États-Unis à l’égard de la discrimination positive peut résulter de cette approche étroite : de nombreux Blancs semblent se croire exempts de ce type de préjugé cognitif et doutent donc qu’il s’agisse d’un problème permanent d’une ampleur suffisante pour justifier une discrimination positive. Une telle focalisation rend la discrimination positive particulièrement vulnérable dans des contextes tels que l’admission à l’université, où les décisions basées sur les notes et les résultats des tests semblent, pour beaucoup, être à l’abri des biais cognitifs (voir Race et loi ; Genre et loi).

Bien que la discrimination de type biais cognitif basée sur le statut de caste soit traitée comme un problème grave et continu en Inde, la discrimination positive y est davantage axée sur l’éradication des effets durables de siècles d’oppression et de ségrégation. Il semble y avoir un engagement plus conscient qu’aux États-Unis pour changer la structure sociale de base du pays. L’approche indienne peut peut-être être mieux comprise à l’aide de la théorie économique élaborée par Glenn Loury, qui fait la distinction entre le capital humain et le capital social (Loury 1995). Le capital humain fait référence aux caractéristiques propres d’un individu qui sont valorisées par le marché du travail ; le capital social fait référence à la valeur qu’un individu reçoit de son appartenance à une communauté, comme l’accès à des réseaux d’information, le mentorat et les faveurs réciproques. Le capital humain potentiel peut être augmenté ou réduit en fonction du capital social disponible. Les modèles économiques montrent comment la discrimination sur le marché du travail, même si elle remonte à plusieurs générations, lorsqu’elle est associée à une structure sociale ségrégationniste permanente, peut perpétuer indéfiniment d’énormes différences de capital social entre les communautés ethniques. Depuis l’affaire historique de l’État du Kerala contre Thomas (1976), les décisions de la Cour suprême indienne ont reconnu la nécessité d’une action positive pour corriger l’inégalité systémique. Même si les dispositions constitutionnelles autorisant l’action positive sont écrites comme des exceptions aux garanties d’égalité, la Cour a caractérisé ces dispositions comme fournissant plutôt un droit à l’égalité substantielle plutôt qu’une égalité simplement formelle.

Sunstein (1994) a préfiguré la valeur potentielle pour les États-Unis d’apprendre des différentes justifications de l’Inde pour l’action positive. L’auteur a proposé un principe anti-caste afin de reconceptualiser le 14e amendement américain de l’après-guerre civile (selon lequel aucune loi ne peut être promulguée qui restreigne les droits des citoyens des États-Unis), qui était une source à la fois de la législation sur les droits civils et des attaques de discrimination inverse sur l’affirmative action. Selon le principe anticaste de Sunstein, l’affirmative action ne serait pas considérée comme une exception limitée à la garantie constitutionnelle de l’égalité, mais plutôt comme une méthode logique, peut-être nécessaire, pour corriger les effets de la caste, qui interfèrent avec l’égalité. L’enquête sur les castes a une grande dimension empirique… elle se concentre sur la question de savoir si un groupe est systématiquement inférieur aux autres dans des dimensions importantes du bien-être social ». Pour Sunstein, les dimensions clés sont le niveau de revenu, le taux d’emploi, le niveau d’éducation, la longévité, la victimisation et le ratio de représentants politiques élus par rapport au pourcentage de la population. L’éventail des personnes pouvant présenter des réclamations au titre du 14e amendement serait considérablement réduit, de l’ensemble de la population (qui a toutes une race) aux membres d’une caste inférieure. Ainsi, les plaintes pour discrimination à rebours déposées par les Blancs touchés par l’action positive disparaîtraient. En outre, il ne serait pas nécessaire de prouver la discrimination, qu’il s’agisse d’une discrimination contemporaine à l’encontre d’un plaignant individuel ou d’une discrimination historique à l’encontre du groupe de cette personne, puisque l’objectif du 14e amendement ne serait plus interprété comme la prévention ou la réparation de la discrimination, mais plutôt comme l’atténuation d’un désavantage social systémique. (Voir également Cunningham et Menon 1999, Sunstein 1999.)

La justification de l’action positive en Inde (modifier l’inégalité systémique) peut être observée ainsi que dans les efforts de plusieurs autres pays pour résoudre les problèmes des populations diverses. Israël a développé des programmes de discrimination positive pour les Juifs sépharades, qui ont généralement immigré en Israël à partir de pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, et ont été socialement et économiquement défavorisés par rapport aux Juifs ashkénazes, qui ont généralement émigré d’Europe. Ces programmes israéliens ne visent pas à combattre la discrimination actuelle ou à compenser la discrimination passée. Il n’y a pas d’histoire de domination et d’exploitation ashkénaze des sépharades comparable au traitement des Afro-Américains aux États-Unis ou des castes inférieures en Inde. Les programmes ont plutôt été justifiés en des termes similaires au discours constitutionnel actuel en Inde, reconnaissant que la combinaison d’un désavantage socio-économique initial avec l’influence continue des réseaux informels perpétuerait une société divisée selon la ligne sépharade/ashkénaze, nécessitant ainsi une action positive pour contrecarrer ces forces sociales (voir Shetreet 1987).

La nouvelle constitution de la République d’Afrique du Sud pousse l’approche indienne un peu plus loin. Le concept même d’égalité est défini de telle sorte que seule la discrimination injuste est interdite. Une action positive correctement conçue est donc une discrimination équitable. La constitution stipule également explicitement que « pour promouvoir la réalisation de l’égalité, des mesures législatives et autres destinées à protéger ou à faire progresser les personnes, ou les catégories de personnes, désavantagées par une discrimination injuste peuvent être prises ». (Voir Cunningham 1997, pp. 1624-28.)

L’Australie, en revanche, tente de préserver les principes de l’égalité formelle dans sa législation destinée à accroître la participation des femmes dans l’ensemble des emplois du secteur privé, en justifiant les programmes comme étant simplement un  » juste retour des choses  » pour les femmes et comme étant conformes aux  » meilleures pratiques commerciales « . La législation stipule spécifiquement que l’embauche et la promotion sur la base du mérite ne sont pas affectées par l’action positive, qui vise plutôt à faciliter la reconnaissance exacte du mérite parmi les employés féminins aussi bien que masculins (voir Braithwaite et Bush 1998).

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