Les mathématiques et Albert Einstein
L’une des nombreuses légendes urbaines sur le génie de la relativité prétend qu’Einstein a échoué en mathématiques à l’école. Rien n’est plus faux : en fait, ses notes en algèbre et en géométrie étaient même meilleures qu’en physique. Cette fausse rumeur, qui a été répétée à l’envi, provient d’une mauvaise interprétation des échelles de notation. D’ailleurs, dans ses mémoires, il raconte lui-même sa passion pour l’une des œuvres les plus célébrées par les mathématiciens, les Éléments d’Euclide.
Pour autant, durant ses premières années de recherche, il n’était pas sûr que les mathématiques soient si essentielles pour la physique. C’est ce qui l’a conduit à choisir cette dernière, comme il le dit lui-même :
J’ai vu que les mathématiques étaient divisées en de nombreuses spécialités et que chacune, à elle seule, pouvait absorber une vie entière. Par conséquent, je me voyais comme l’âne de Buridan, qui était incapable de se décider entre deux bottes de foin. Cela était vraisemblablement dû au fait que mon intuition en mathématiques n’était pas assez forte pour définir clairement ce qui était fondamental… Par ailleurs, mon intérêt pour l’étude de la nature était sans doute plus fort ; et lorsque j’étais étudiant, je n’étais pas encore certain que l’accès à une connaissance approfondie des principes de base de la physique dépendait des méthodes mathématiques les plus complexes. Je ne l’ai compris que peu à peu, après des années de travail scientifique indépendant.
En fait, bien qu’ayant opté pour la physique, il finit par apprécier les mathématiques comme base de sa propre création, et il affirmait même :
Bien sûr, l’expérience conserve sa qualité de critère ultime de l’utilité physique d’une construction mathématique. Mais le principe créatif réside dans les mathématiques.
En fait, la créativité mathématique était fondamentale dans les contributions d’Einstein. Au moment où il concevait la théorie générale de la relativité, il lui fallait connaître des mathématiques plus modernes : le calcul tensoriel et la géométrie riemannienne, cette dernière développée par le génie mathématique Bernhard Riemann, professeur à Göttingen. Ce sont les outils essentiels pour façonner la pensée d’Einstein.
Spécifiquement, les géométries non-euclidiennes semblaient presque taillées sur mesure pour la Relativité. Découvertes peu avant, de manière totalement abstraite, elles ont révolutionné la géométrie. Ce type de modèle est apparu en pensant différemment au cinquième postulat d’Euclide. Ce principe, pris comme un axiome par Euclide, établit qu’étant donné une ligne droite et un point situé à l’extérieur de celle-ci, seule une ligne parallèle peut traverser ce point. Plus tard, de nombreux mathématiciens ont essayé de le prouver comme une conséquence du reste des axiomes, qui étaient plus intuitifs. Après des siècles d’échecs, la négation de ce postulat a conduit à la géométrie hyperbolique (il existe un nombre infini de lignes parallèles) et à la géométrie sphérique (il n’en existe aucune). Les génies Lobachevski et Bolyai, et plus tard Beltarmi et Félix Klein, ont ouvert un paradis pour les créateurs de modèles d’univers.
Plus tard, les tenseurs et les connexions étudiés par Christoffel (1829-1900), Gregorio Ricci (1853-1925) et Tullio Levi-Civita (1873-1941), et la théorie géométrique développée par Riemann, ont complété la boîte à outils dont Einstein avait besoin pour ses théories. Pour pouvoir manipuler cette création sophistiquée, Einstein a correspondu avec certains mathématiciens, dont Levi-Civita, qui l’ont aidé à corriger certaines erreurs dans ses écrits. Dans un extrait de ces lettres, Einstein fait l’éloge des mathématiques de son collègue :
« J’admire l’élégance de sa méthode de calcul ; cela doit être formidable de parcourir ces champs sur le cheval des véritables mathématiques alors que nous devons faire notre dur labeur à pied ».
L’influence de Hermann Minkowski, David Hilbert et Felix Klein est notable et Albert Einstein considère bientôt les mathématiques comme l’essence de son travail. Pour compléter sa théorie, Einstein sollicite le soutien de son ami Marcel Grossmann, lui aussi mathématicien, qui, même si on le met en garde contre la lourdeur du parcours mathématique dans lequel il va s’engager, le met sur la bonne voie.
Et voilà comment Einstein, en utilisant son intuition et ses connaissances en physique, et en recourant aux mathématiques, a créé une théorie extraordinaire que personne n’a pu égaler.
Manuel de León
ICMAT/ Académie royale des sciences
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