De la fille esclave à la sultane : Hürrem Sultan

Déc 22, 2021
admin

Hürrem Sultan a toujours été un objet de fascination pour les publics européens- son ascension sans précédent dans la hiérarchie du harem puis de l’Empire avait été jusqu’alors inédite. De ce fait, Hürrem Sultan était un sujet populaire pour les artistes et les écrivains des empires européens de l’époque. Les premières mentions d’Hürrem Sultan se trouvent dans les œuvres des diplomates européens Luigi Bassano, Nicholas de Moffan et Ogier Ghiselin de Busbecq (Lettres turques, 1554), qui la désignent sous le nom de « Roxelana » afin de souligner ses racines ruthènes. Écrivant après l’exécution de Şehzade Mustafa en 1554, Moffan et Busbecq ont tous deux reproduit l’insécurité des stambouliotes envers Roxelana, qui l’avait incriminée pour son implication supposée dans l’exécution de leur bien-aimé Şehzade et l’avait donc qualifiée de Ziaddi (sorcière). Moffan et Busbecq ont tous deux mis en doute ses motivations philanthropiques et l’ont accusée d’utiliser les waquifs comme un moyen de « rentabiliser son salut. » Il s’agissait donc d’une attaque non seulement contre sa dévotion à l’islam, mais aussi contre sa loyauté envers Suleyman. Ces points de vue ont contribué à développer le récit du déclin ottoman, où Roxelana était accusée d’avoir corrompu la religiosité du sultan Suleyman Ier en le poussant par la ruse à l’épouser et, ainsi, d’avoir condamné l’Empire ottoman à la ruine et au déclin, menant finalement à sa décimation en 1922.

Les œuvres de Busbecq et Moffan ont contribué à créer l’image négative de la sultane ottomane. Comme plusieurs autres écrivains européens, ni Busbecq ni Moffan n’ont réellement rencontré Roxelana et lui ont donc attribué plusieurs caractéristiques imaginaires. Cela se reflète dans La Sultana Rossa du Titien, un portrait de Roxelana, basé sur son interprétation imaginaire de la sultane turque. Titien n’est pas le seul Européen à attribuer des valeurs et des caractéristiques imaginaires à la sultane turque.

Moffan et Busbecq mettent tous deux en doute ses motifs philanthropiques et l’accusent d’utiliser les waquifs comme un moyen de « rentabiliser son salut. » Il s’agissait donc d’une attaque non seulement contre sa dévotion à l’islam, mais aussi contre sa loyauté envers Suleyman.

Plus systématiquement perçue comme une menace féminine pour l’establishment patriarcal, le public européen voyait en Roxelana une « femme puissante dont les malintentionnés pouvaient subvertir le système. » Dans Roxelana, les craintes de l’autonomie et de l’autorité féminines étaient reflétées aux Européens. Toutefois, l’attitude des Européens à l’égard de Roxelana est devenue plus positive avec la fin des politiques isolationnistes des Ottomans et le déclin de leur puissance après la victoire espagnole à la bataille de Lépante en 1571. En conséquence, le personnage de Roxelana a été humanisé car son rôle de mère a été souligné – sa participation à l’exécution de Mustafa n’était plus perçue comme un stratagème pour le pouvoir mais comme un acte d’amour maternel, afin de protéger ses fils du véritable méchant du récit – les institutions légales ottomanes – polygamie, concubinage et fratricide.

Les Lumières ont eu un impact énorme sur la représentation de Roxelana en Europe. En mettant l’accent sur ses racines ruthènes, les dramaturges européens ont reconnu ses réussites exemplaires dans les conditions sociales rigides du harem impérial et ont attribué son succès à son caractère « outrageusement libre et intelligent ». Roxelana n’est plus associée à la sorcellerie ou à l’immoralité sexuelle. Au contraire, elle est saluée comme une femme moderne qui incarne les valeurs de liberté et de progrès du siècle des Lumières. Cependant, l’intérêt accru pour l’Orient et les voyages à l’époque des Lumières ont également engendré la tendance à l’orientalisme, selon laquelle l’Empire ottoman était considéré comme un « despotisme non occidental, incapable de progresser ». Cette tendance s’est également étendue aux écrits de Roxelana, à qui l’on attribue désormais toutes les caractéristiques de la reine asiatique exotique : exotisme, mystique, cruauté. Ces tendances se reflètent clairement dans les œuvres telles que « La Sainte Ligue » de Lope de Vega (1562-1635), la Vie de Sidney de Frank Geville (XVIe siècle), ibrahim the Illustrious Bassa d’Elkanah Settle (1677), et Earl of Orrery, Tragedy of Mustapha de Roger Boyle (1668).

« La Sultana Rossa » par le Titien, vers les années 1550. C’est le plus ancien portrait connu de Roxelana par le peintre italien de la Renaissance, Titien. Comme beaucoup d’autres hommes d’Europe occidentale, Titien n’a jamais réellement vu Roxelana et donc, cette peinture aussi est un portrait imaginé d’elle.

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